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Le contre-terrorisme maritime. Organisation de la réponse nationale et volet judiciaire

Le contre-terrorisme maritime. Organisation de la réponse nationale et volet judiciaire
01mar.24

Cet article a été écrit par Gilles Dode, capitaine de frégate, chargé de mission "domaine maritime" au sein de la Protection et de la Sécurité de l'État du secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale depuis août 2021. Il est issu du n°57 des Cahiers de la sécurité et de la justice.

Même s’il n’a jamais atteint l’ampleur des menaces contre le transport aérien ou le milieu terrestre, le terrorisme maritime n’en demeure pas moins une préoccupation majeure de l’État français, qui dispose du deuxième espace maritime mondial. La réponse nationale de contre-terrorisme maritime bénéficie par conséquent d’un corpus de règlements et de doctrines étoffé. Le volet judiciaire y trouve toute sa place mais doit s’inscrire dans une organisation particulièrement complexe et transverse, qui trouve peu de similarité avec ses pendants terrestre et aérien. Cet article rappelle en premier lieu les caractéristiques générales du terrorisme maritime et les principes d’organisation de la réponse nationale en s’attardant sur son volet judiciaire. Il propose en conclusion quelques principes pouvant participer à une meilleure intégration de cette dimension au sein des opérations.

Introduction

La mer, à la fois moteur et vecteur de l’économie mondiale, est une formidable source de croissance dont dépendent différents domaines tels que les communications par câbles sous-marins (99 % des transmissions intercontinentales), les approvisionnements en énergie (issue de la mer ou provenant d’autres territoires), l’exploitation et la gestion des ressources halieutiques et minérales, les transports maritimes (90 % des échanges mondiaux en volume de marchandises transportées et 80 % en valeur) et le transport de passagers (flux proche de trente millions de personnes pour les ports français)1.

Dans des contextes géopolitiques et économiques concurrentiels, marqués par de fortes incertitudes, la France, dotée du deuxième espace maritime mondial, doit faire face à de multiples enjeux. En particulier, le développement très important du terrorisme, l’internationalisation de ses réseaux et l’accès de certains groupes armés, territorialement bien implantés, à des moyens techniques sophistiqués se traduit par une vulnérabilité accrue du domaine maritime à cette menace.

La réponse nationale de contre-terrorisme maritime s’inscrit dans le cadre administratif particulier de l’action de l’État en mer et bénéficie d’un corpus de doctrines abouti. Éminemment transverse et complexe, elle nécessite cependant une étroite coordination des services de l’État et la maîtrise de son organisation par l’ensemble de ses acteurs, notamment dans sa dimension judiciaire.

Après un rappel des caractéristiques générales du terrorisme maritime et des principes d’organisation de la réponse et plus particulièrement de  son volet judiciaire, cet article propose en conclusion quelques principes pouvant participer à une meilleure intégration de ce volet au sein des opérations.

Caractérisation du terrorisme maritime

Définition

Le Code pénal définit l’acte terroriste comme un acte se rattachant à « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Il recouvre deux catégories d’infractions :

– les infractions existantes commises en relation avec une entreprise à caractère terroriste. Il s’agit d’infractions de droit commun commises dans des circonstances particulières qui leur confèrent ce caractère. La liste définie à l’article 421-1 du Code pénal vise sept catégories d’infractions, parmi lesquelles on notera les atteintes volontaires à la vie ainsi qu’à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire et de tout autre moyen de transport ;

– les infractions terroristes autonomes parmi lesquelles on pourra retenir le terrorisme « écologique2 » et l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste3.

Le terrorisme est, par ailleurs, d’essence politique. C’est en cela que sa composante maritime se différencie fondamentalement de la piraterie, dont la motivation se limite à la satisfaction financière d’un besoin privé.

Le terrorisme maritime, bien qu’il ne fasse pas l’objet d’une définition juridique universelle, s’entend donc généralement comme désignant les actes terroristes ayant lieu au sein de l’environnement marin [Chalk, 2008, p. 3].

Modes opératoires

Une brève étude de l’histoire des évènements à caractère terroriste en mer, tels que définis au paragraphe précédent, permet de caractériser à grands traits les modes opératoires du terrorisme maritime.

La nature multiple de ses auteurs et de ses méthodes rend difficile la comptabilisation des actes qui lui sont relatifs. La base de données du Mémorial d’Oklahoma City4 donne cependant pour un total de 20 718 incidents terroristes répertoriés dans le monde entre 1968 et 2005, le total de 135 incidents de terrorisme maritime ayant causé la mort de 140 personnes et fait 263 blessés soit environ 0,65 % de la totalité des incidents de cette période.

Même s’il n’a jamais atteint l’ampleur des menaces contre le transport aérien ou le milieu terrestre, sa recrudescence au cours des années 1970 et 1980 a marqué l’opinion publique [Daguzan, 2009, p. 115-128].

Le terrorisme maritime fait son apparition le 22 février 1961 lorsqu’un groupe hispano-portugais du Directoire révolutionnaire ibérique de libération (DRIL) prend 550 otages sur un navire de croisière, le Santa Maria, au large du Brésil, pour dénoncer les dictatures franquistes et salazaristes. Poursuivis par des navires américains et brésiliens, les preneurs d’otages se rendent finalement aux autorités brésiliennes. Cet événement, en raison de son ampleur, de sa résonance médiatique mondiale et de sa durée, eut un grand retentissement.

Entre l’événement de 1961 et les années 2000 les cas les plus remarquables sont la prise d’otages du navire de croisière italien Achille Lauro, qui se traduit par l’assassinat d’un ressortissant américain le 7 octobre 1985 ; l’arraisonnement au large du Liban par le groupe Abou Nidal du navire de plaisance Silco en novembre 1987 (enlèvement des huit passagers qui ne seront relâchés progressivement qu’entre 1988 et 1990) ; l’attaque du ferry grec, City of Poros (explosifs et armes automatiques faisant neuf morts et 98 blessés) le 11 juillet 1988, toujours par le groupe Abou Nidal.

Le terrorisme maritime refait son apparition sur la scène médiatique au début des années 2000 avec les attentats organisés par les liales d’Al-Qaïda ayant visé le destroyer américain USS Cole (12 octobre 2000) et le pétrolier français Limburg près des côtes du Yémen (6 octobre 2002). Dans les deux cas, c’est une embarcation rapide chargée d’explosifs qui se jette contre la coque des bâtiments. L’attentat à la bombe du 27 février 2004 contre le Superferry 14 alors que le bateau sortait du port de Manille a provoqué la mort d’au moins 116 personnes. Cet acte est alors attribué au groupe de la mouvance jihadiste Abu Sayyaf, qui s’est illustré par de nombreux actes de violence aux Philippines [Greenberg, 2016, p. 20-24].

La plupart des autres attaques terroristes, sont le fait soit des Tigres tamouls (LTTE) dans leur lutte contre le gouvernement central du Sri Lanka soit du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) : attentats suicides (remis au goût du jour par les Tigres et les islamistes chiites – 8 attentats visant des navires entre 1987 et 2004) par individus ou vedettes rapides, et usage d’explosifs, d’armes à feu, etc. [Eudeline, 2010, p. 89-95].

 

Le terrorisme maritime peut donc s’exprimer selon plusieurs modes opératoires :

– le navire ou l’infrastructure en mer sont la cible à détruire : des explosifs sont cachés à leur bord (Superferry 14) ou ils sont attaqués de l’extérieur (cas de l’USS Cole et du Limburg) ;

– les passagers ou l’équipage sont la cible (assassinat ou prise d’otages) : des terroristes en prennent le contrôle après s’être mêlés aux passagers (cas du Silco) ou à l’équipage (cas du Santa Maria, du City of Poros et de l’Achille Lauro) ;

– le navire ou l’infrastructure en mer est une « arme par destination » : les terroristes peuvent tenter de couler un navire pour bloquer un port, un canal, un détroit ou, par exemple, de provoquer une marée noire ou une pollution massive en faisant exploser ou en endommageant un tanker ou une plateforme chargés de pétrole ou de matières chimiques (Limburg).

Cadre réglementaire et doctrinal de la réponse nationale

Le cadre réglementaire en matière de sûreté maritime s’est abondamment étoffé depuis les évènements des années 1980.

Cadre international

La convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, conclue à Rome le 10 mars 1988, dite convention SUA (Suppression of unlawful acts) et ses protocoles additionnels

Le drame de l’Achille Lauro pousse, dès 1985, les gouvernements les plus directement concernés à prendre, dans le cadre de l’Organisation maritime internationale (OMI), plusieurs initiatives visant la prévention et la répression d’actes illicites contrevenant à la sécurité de la navigation maritime. Ces initiatives aboutissent à l’adoption de la convention SUA. L’objectif principal de la convention est de garantir que des mesures appropriées soient prises envers les auteurs d’actes illicites commis contre des navires, à savoir notamment la capture d’un navire par la force, les voies de fait contre des personnes se trouvant à bord ou l’introduction à bord de dispositifs propres à détruire ou à endommager le navire. En vertu de la convention, les gouvernements contractants sont tenus d’extrader ou de poursuivre en justice les auteurs présumés de ces actes.

La convention de Rome représente une étape déterminante dans la lutte internationale contre le terrorisme maritime puisqu’elle dénit une règle de droit commune et une nomenclature des crimes et des infractions. Lors de la conférence diplomatique sur la révision des instruments de la convention, réunie du 10 au 14 octobre 2005, des amendements importants à la convention de 1988 et à son protocole ont été adoptés. Ils ont été adoptés sous la forme de protocoles à ces instruments (Protocoles de 2005).

Il convient également de rappeler que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, dite de Montego Bay (CMB) supplante la convention de Rome qui lui est subsidiaire. Ainsi, les actes de piraterie, le trafic illicite de stupéfiants ou encore l’arraisonnement sont respectivement régis par les articles 100 et suivants, 108 et 105 de la CMB. Les dispositions de la convention de Rome ne s’appliquent alors que lorsque la CMB présente des lacunes, ou lorsqu’elle n’est pas applicable car non ratifiée.

Le Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (Code ISPS) du 12 décembre 2002

En 2002, le Code ISPS (International Ship and Port Facility Security Code), visant la sûreté des navires et des installations portuaires, est également adopté dans le cadre de l’OMI. Ce code prévoit, entre autres, l’équipement de tous les navires d’un système d’alerte de sûreté (ship security alert system [SSAS]) qui émet une alerte électronique en cas de menace. L’application du code ISPS implique pour les compagnies d’obtenir périodiquement un certificat international de sûreté (ISSC), délivré par l’administration du pavillon ou par un organisme agréé. L’obtention de ce certicat est soumise à des critères rigoureux (évaluation, plan de sûreté, mise en place d’un agent de sûreté du navire et de la compagnie). Les mêmes critères s’appliquent à la sécurité portuaire (Port Facility Security Plan).

Cadre européen

Au niveau européen, toutes les conventions et dispositions internationales ont été intégrées dans le règlement (CE) no 725/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relatif à l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires. Le dispositif européen s’articule autour d’une autorité nationale responsable et d’un processus d’inspection supervisé par la Commission, qui est elle-même assistée par l’Agence européenne de sécurité maritime (EMSA).

Cadre national

Le terrorisme, sous tous ses aspects, est devenu, depuis le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale de juin 2008, une menace stratégique pour la France5.

La France, nation maritime et à l’espace maritime considérable notamment grâce à ses départements et territoires d’outre-mer, a une responsabilité particulière en matière de sécurité et de sûreté en mer. Elle est également une cible de choix pour des organisations terroristes qui l’ont menacée à maintes reprises. À cet effet, elle s’appuie sur :

– une stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes dès 2015 (révisée en 2019) ;

– une organisation administrative en mer originale : l’action de l’État en mer (AEM) ;

– des plans d’intervention et une doctrine d’intervention élaborés pour faire face à cette menace, d’où qu’elle vienne et quel que soit le milieu (terre, air, mer) sur lequel elle s’exercerait.

La stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes

La stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes s’inscrit dans le prolongement du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et apporte une vision nationale complémentaire à la stratégie de sûreté maritime de l’UE adoptée en 2014. Elle détermine notamment les réponses que la France peut apporter, dans un cadre national comme sur les théâtres régionaux, aux principaux défis maritimes : garantir l’intégrité territoriale, protéger les ressortissants, endiguer les trafics de tous types et défendre les intérêts économiques et environnementaux français. Elle s’appuie sur le cadre administratif, opérationnel et interministériel de l’AEM et de la fonction garde-côtes.

L'action de l'Etat en mer (AEM)

L’AEM, organisation administrative et opérationnelle, repose sur trois piliers :

– une autorité administrative unique, le représentant de l’État en mer (en métropole, le préfet maritime ou, outre-mer, le délégué du gouvernement, représentants du Premier ministre)6 ;

– 45 missions attribuées aux ministères et entités compétents7 ;

– le pouvoir d’enquête attribué à certains agents des administrations concernées de constater et rechercher les infractions en mer8.

L’AEM s’exerce dans le cadre de la zone maritime9, espace de compétence de l’autorité maritime unique, qui comprend les espaces placés sous la juridiction de la France (eaux intérieures, mer territoriales, zone économique) et la haute mer, sur laquelle la France peut exercer certaines attributions relatives à son pavillon en respectant les conventions internationales.

Du fait de son caractère interministériel, l’AEM est placée sous la responsabilité du Premier ministre, qui dispose, pour l’assister dans cette mission, du secrétaire général de la mer (SGMer) chargé notamment de coordonner l’action des représentants de l’État en mer, qui s’appuient eux-mêmes sur les centres opérationnels des différentes administrations.

L’organisation de l’AEM a été renforcé en 2010 par la création d’une fonction garde-côtes destinée à en améliorer la cohérence. Les administrations disposant de moyens d’intervention en mer agissent dans le cadre de la fonction garde-côtes, qui comprend la Marine nationale (dont la gendarmerie maritime), les Douanes, les Affaires maritimes, la Gendarmerie nationale, la Sécurité civile et la Police nationale.

Dans le cadre de l’AEM, le représentant de l’État en mer est chargé de veiller à l’exécution des lois et des règlements ainsi que des décisions gouvernementales dans les espaces maritimes où il est compétent (espaces maritimes sous juridiction et sous souveraineté française). Il dispose d’un pouvoir de police administrative générale lui permettant de réglementer les activités en mer. C’est sous sa coordination que les administrations de la fonction garde-côtes contrôlent les activités pratiquées dans ces espaces. Le cas échéant, le recours à la force est envisagé pour faire cesser une infraction, pour procéder à un contrôle ou pour rétablir l’ordre.

Doctrine

Renseignement et anticipation de la menace

Le système français de lutte contre la menace terroriste est conditionné par l’action de renseignement et d’anticipation de la menace.

Au niveau interministériel, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) procède, à échéances régulières, à une évaluation de la menace terroriste avec tous les services de renseignement.

La direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) est chef de file des services de lutte contre les menaces terroristes visant le territoire national. À ce titre, elle impulse et coordonne l’action menée par ces services pour détecter et entraver ces menaces10. La direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) est pour sa part chargée de la lutte antiterroriste pour les menaces visant les intérêts français à l’étranger.

En s’appuyant sur l’évaluation nationale de la menace terroriste, le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) diffuse à échéance régulière la posture Vigipirate, qui énumère les mesures Vigipirate devant être adoptées par les différents ministères11 :

– en particulier, la mise en œuvre des mesures Vigipirate du domaine maritime est de la responsabilité du commandant de zone maritime sous l’autorité du représentant de l’État en mer. Elle permet d’adapter le niveau de vigilance, de prévention et de protection des installations et activités ;

– les administrations en mer, dont les armées, traduisent ces mesures en adaptant la réactivité de leur dispositif d’alerte permanent, dont les capacités d’action sont disponibles dans des délais cohérents avec la posture de vigilance et énumérées dans les contrats opérationnels.

Au niveau local, le représentant de l’État en mer construit sa propre appréciation, qui s’appuie sur le renseignement élaboré à partir des informations recueillies en mer et dans nos approches par la Marine nationale, la Gendarmerie nationale, les autres administrations et les partenaires privés et étrangers, renseignement partagé au sein des cellules de coordination de l’information maritime (CCIM)12.

Indépendamment de toute évaluation de la menace, le Maritime Information Cooperation and Awareness Center (MICA Center), centre français d’analyse et d’évaluation de la situation de sûreté maritime mondiale, fournit aux armateurs français participant à la coopération navale volontaire (CNV) les recommandations en cas d’attaque : dispositions à prendre, contacts à établir, cinématique à adopter dans l’attente de directives du représentant de l’État en mer. Il tient à jour la liste des contacts des compagnies participant à la CNV13.

Toutes ces mesures s’ajoutent :

– aux dispositions permanentes régies par la politique de sécurité des activités d’importance vitale (SAIV), dont les activités maritimes font partie au titre des secteurs « activités militaires de l’État », « alimentation », « énergie », « transport », « communications » et « recherche » ;

– aux mesures du Code ISPS.

Politique nationale de contre-terrorisme maritime

La politique de contre-terrorisme proprement dite s’appuie sur des plans d’urgence répondant à un type donné de risque ou de menace (plans Pirate Air, Pirate Mobilité terrestre, Pirate Mer et, pour la menace cyber, Piranet .

Le plan Pirate Mer est le plan d’intervention gouvernemental ayant pour objet de répondre à un acte de terrorisme maritime (ou de piraterie ou de brigandage), et ce, quelle que soit la position du navire, à quai ou en mer. Il vise à mettre à disposition des décideurs et des différents acteurs impliqués les données nécessaires à une prise de décision cohérente et adaptée, en définissant le dispositif de gestion de crise, qui implique le cabinet du Premier ministre, dont  l’emploi de la force en mer relève, la cellule interministérielle de crise (CIC)14, les ministères et les centres opérationnels et de crise des autorités préfectorales, maritimes et terrestres :

– en précisant les responsabilités et les périmètres d’intervention de chacun des acteurs ;

– en s’assurant de la parfaite coordination entre les acteurs impliqués en mer et à terre ;

– en proposant des stratégies de réponse à des situations de référence identifiées comme les plus probables.

La décision de déclencher le plan Pirate Mer relève du Premier ministre. Elle est prise à partir de l’analyse et des informations fournies par les autorités préfectorales ou par un ministère particulièrement impliqué. Le plan Pirate Mer peut notamment être déclenché lorsque les conséquences des atteintes sont telles qu’une coordination interministérielle est nécessaire à la résolution de la crise.

Le plan Pirate Mer comporte trois phases :

– l’alerte couvre la réception et l’exploitation de l’information initiale, la diffusion de l’alerte, la recherche d’informations complémentaires et l’élaboration de renseignements, la projection des moyens et les actions de communication.

– l’intervention vise à faire cesser la menace, peut adopter différents modes opératoires et regroupe également l’ensemble des actions dites de « reprise environnement », qui suivent ou résultent de l’intervention. Ces actions peuvent être de nature sanitaire ou judiciaire, des opérations de sauvetage en mer, de neutralisation des menaces potentielles subsistant sur le lieu de l’intervention, et de préservation de la flottabilité du navire, siège de l’attaque terroriste ;

– la stabilisation comprend le suivi sanitaire post-accidentel des impliqués et de leurs familles, la reconquête économique du secteur d’activité touché, la conduite de l’enquête judiciaire, l’analyse du retour d’expérience et le maintien d’une communication de crise le temps jugé nécessaire. En fonction de la situation, certaines de ces manœuvres peuvent être mises en œuvre dès la phase d’intervention.

Le Premier ministre assure, en liaison avec le président de la République, la direction politique et stratégique de la réponse gouvernementale ; il décide de l’emploi de la force en mer ; il peut confier la présidence de la CIC à un ministère menant. En fonction de la localisation de l’évènement, des capacités à mettre à œuvre et de l’importance des conséquences, avérées ou potentielles, en mer et à terre, la conduite de la crise peut revenir au ministre des Armées ou au ministre de l’Intérieur.

En sus du ministre des Armées et du ministre de l’Intérieur, les principaux ministères impliqués de fait sont :

– le ministère chargé de la justice pour le volet judiciaire ;

– le ministère chargé de la santé en ce qui concerne la prise en charge des victimes ;

– le ministère chargé des transports en ce qui concerne la sûreté maritime et portuaire et la continuité des activités maritimes ;

– le ministère chargé des affaires étrangères afin d’assurer le lien avec les représentations diplomatiques pour les citoyens étrangers impliqués dans un attentat en France ou à bord d’un navire sous pavillon français.

Pour un évènement survenant en mer, le représentant de l’État en mer assure localement la direction des opérations. Au niveau stratégique, il est en relation avec la CIC et, pour ce qui relève de l’emploi de la force en mer, avec le Premier ministre, à qui il propose le déclenchement du plan Pirate Mer. Au niveau local, il organise ses actions avec es autorités préfectorales terrestres (prise en charge des victimes, accueil des familles, désignation d’un port d’accueil, etc.).

Pour un évènement survenant dans les limites administratives d’un port, la fonction de directeur des opérations est assurée par le préfet de département, localement compétent. De la même manière, il s’entend avec le niveau stratégique et, au niveau local, avec l’autorité maritime pour les éventuelles conséquences ou pour les actions à réaliser en mer. Il peut engager des capacités militaires sous réserve qu’elles aient été réquisitionnées15.

Les particularités du milieu

Les eaux sous souveraineté sont constituées des eaux intérieures et des eaux territoriales de l’État côtier (approximativement jusqu’à 12 miles marins du rivage, soit environ 22 km). Dans les eaux sous souveraineté, l’État côtier peut intervenir sur tous les navires, quel que soit leur pavillon, pour mettre fin à un acte criminel.

En haute mer, c’est l’État du pavillon qui intervient sur les navires inscrits sur son registre. Néanmoins, il est possible à un État tiers d’intervenir sur un navire d’un autre État du pavillon avec l’accord de ce dernier ou à sa demande.

Un évènement en mer se caractérise par une forte incertitude. Dans l’immensité des espaces maritimes, à défaut d’informations précises par l’équipage du navire, la rareté des capteurs et leurs délais de redéploiement sur la zone considérée n’apportent qu’une connaissance parcellaire de la nature de l’évènement et de ses conséquences. L’engagement des forces implique donc une importante prise de risque.

En mer, l’emploi de la force relève d’une décision du Premier ministre. Le délai d’intervention des forces à bord d’un navire en mer est souvent bien plus long que lorsqu’elles interviennent à terre en raison de la mobilité du navire, de l’élongation des distances et des conditions météorologiques et océanographiques.

Une attaque terroriste sur un navire en mer a, la plupart du temps, des répercussions à terre, notamment s’agissant de l’accompagnement des victimes. En outre, un évènement peut commencer en mer et se terminer dans un port, ce qui implique de fait un changement d’autorité compétente au niveau local. Aussi, une parfaite coordination entre l’autorité maritime et le préfet de département du port d’accueil s’avère nécessaire dès le début de la crise.

Le volet judiciaire

Le volet judiciaire débute dès la phase d’alerte et constitue un des aspects de la phase de stabilisation du plan Pirate Mer.

L’autorité judiciaire est partie prenante dans la conduite des opérations. Les capacités d’investigation et les informations dont elle dispose peuvent contribuer à fournir du renseignement à fin d’action au profit de l’intervention.

Rôle du représentant de l'Etat en mer

Pour le volet judiciaire, le rôle du représentant de l’État en mer est d’apporter son concours à l’action judiciaire et de veiller tout au long de la crise et jusqu’au transfert d’autorité (transfert of authority [TOA]) au préfet de département (au passage du navire dans les limites du port) :

– à informer le magistrat chargé de l’enquête judiciaire ;

à respecter les attributions propres de cette autorité (notamment sur les aspects de communication de crise) ;

– à favoriser la liberté d’action des enquêteurs et la projection des capacités judiciaires sur la cible dès lors que la situation tactique et sécuritaire le permet ;

– à concourir au soutien logistique et technique des éléments judiciaires insérés au centre de traitement de crise (CTC) du représentant de l’État en mer.

Intégration de la dimension judiciaire au sein du CTC du représentant de l'Etat en mer

Le CTC assure l’accueil des magistrats chargés de l’enquête (autorité judiciaire) et des services d’enquête qu’ils ont saisis, leur mise en relation avec le représentant de l’État en mer (autorité administrative) et l’accès aux informations nécessaires à la conduite de leur mission. Le CTC est également chargé de recueillir les besoins d’intégration des opérations judiciaires dans la manœuvre militaire et d’en relayer les éléments de planification vers le centre des opérations maritimes (COM) du commandant de zone maritime, qui assure la conduite opérationnelle de l’opération.

Au sein du CTC du représentant de l’État en mer, il revient à la cellule de fusion du renseignement (fusion cell) de communiquer aux autorités administratives et judiciaires les analyses, les renseignement et les points de situation propres à favoriser leurs prises de décision et d’organiser le travail de coordination et de traitement des « renseignements militaire et judiciaire » pour exploiter en temps réel, au profit de l’enquête, les analyses réalisées par les services de renseignement qui y sont présents.

L'action judiciaire

Cadre général

La police judiciaire est « chargée […] de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte. Lorsqu’une information est ouverte, elle exécute les délégations des juridictions d’instruction et défère à leurs réquisitions17 ». La mission de police judiciaire est menée par les services de la Police nationale et les unités de la Gendarmerie nationale ainsi que celles de la gendarmerie maritime sous la direction et la supervision d’un magistrat de l’ordre judiciaire.

Lors d’un attentat terroriste, c’est le parquet national antiterroriste (PNAT) qui dispose d’une compétence exclusive et nationale. Il désigne en ce sens le ou les services enquêteurs et dans cette hypothèse le service coordonnateur.

Lors d’une opération CTM, le cadre juridique initial retenu est l’enquête de flagrance. Elle confère des pouvoirs très coercitifs aux enquêteurs qui peuvent notamment se transporter sur les lieux de l’infraction, procéder aux constatations matérielles, saisir tous objets ou supports utiles à la manifestation de la vérité, procéder à la perquisition du domicile des personnes qui paraissent avoir participé à l’infraction ou détenir des pièces ou informations relatives aux faits, entendre toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits, ou encore placer en garde à vue une personne soupçonnée d’avoir participé à l’infraction.

Rôle du procureur territorialement compétent

Dès qu’il est avisé (par la préfecture maritime par exemple) de la commission d’un acte potentiellement terroriste sur son ressort, il prend immédiatement attache avec le PNAT afin que celui-ci apprécie s’il entend se saisir des faits. Il n’est pas qualifié pour engager ou conduire des enquêtes ouvertes sous une qualification terroriste, mais peut agir sous l’autorité du PNAT.

Dès que les conditions opérationnelles le permettent, il se rend dans les meilleurs délais sur le lieu de commission des faits, où il sera rejoint par un ou plusieurs magistrats du PNAT aussitôt que celui-ci aura décidé de sa saisine.

Rôle du procureur antiterroriste

Dès qu’il retient sa compétence en qualifiant les faits d’acte de terrorisme au sens des articles 421-1 et suivants du Code pénal, il assure la direction de l’enquête judiciaire.

Il saisit un ou plusieurs services de police ou unités de gendarmerie de la poursuite des investigations, dont certains ayant une compétence particulière (police scientifique, maritime, cyber…).

En cas de pluralité de services d’enquête saisis par le procureur, ce dernier désigne un service coordonnateur (généralement la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la Police judiciaire [DCPJ/SDAT]), chargé de la centralisation des investigations et de la mise en forme du dossier de procédure.

Il « procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » (article 41 du Code de procédure pénale) et dirige l’activité des officiers de police judiciaire (OPJ).

S’agissant plus particulièrement de la prise en charge des victimes décédées18, l’articulation des opérations judiciaires de médecine légale – visant à la détermination des causes de la mort – est arrêtée par le procureur de la République antiterroriste. Sous la direction unique de celui-ci, la prise en charge des corps relève de la compétence exclusive des services enquêteurs, qui organisent leur recensement, leur transport et les opérations conduisant à leur identification (attribution formelle de l’identité selon le protocole INTERPOL d’identification des victimes de catastrophes [IVC]).

Le procureur de la République antiterroriste est la seule autorité désignée pour annoncer officiellement le bilan des victimes. De manière, la communication médiatique sur les faits doit demeurer centralisée et n’être exercée que par le PNAT au titre de l’article 11 du Code de procédure pénale.

Conclusion

La liberté d’action de l’autorité judiciaire dans l’exercice de ses responsabilités est, sans nul doute, un des principaux facteurs de succès d’une opération de contre-terrorisme maritime. Au cours de la crise, l’action judiciaire devra cependant évoluer au sein d’une organisation éminemment transverse et complexe qui trouvera peu de similarité avec ses pendants terrestre ou aérien. Ses priorités (projection des enquêteurs sur le navire ou préservation des scènes de crime par exemple) devront, en particulier, être arbitrées à l’aune de celles qui s’imposeront par ailleurs au directeur des opérations : secourir les victimes, sécuriser le navire (lui permettre de continuer de flotter), assurer le soutien des forces d’intervention engagées, préparer le transfert d’autorité, affronter la pression médiatique.

La cohérence d’une opération de CTM et la prise en compte à bon niveau des priorités de son volet judiciaire nécessitent une excellente connaissance mutuelle de ses acteurs, la maîtrise de l’organisation de la réponse et l’entraînement régulier de toutes les parties prenantes dans un cadre réaliste et exigeant.

Au niveau central, la direction de la Protection et de la Sécurité de l’État du SGDSN, qui est chargée de la doctrine interministérielle de crise, est le point d’entrée idoine du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Justice pour traiter les sujets doctrinaux et organisationnels relatifs au contre-terrorisme maritime.

Au niveau local, le commandant de groupement de gendarmerie maritime de chaque façade maritime et le chef du pôle « police en mer » de chaque préfecture maritime sont chargés d’assurer l’accueil et la bonne prise en compte de l’autorité judiciaire et de ses moyens (magistrats, officiers de police judiciaire et experts associés) au sein du centre des opérations maritimes et du CTC du représentant de l’État en mer. Outremer, cette responsabilité est du ressort du bureau AEM du commandant de zone maritime.

Enfin, l’exercice zonal de contre-terrorisme maritime organisé annuellement par l’état-major des armées (« Antifer » quand il se déroule sur la Manche, « Armor » sur l’Atlantique et « Estérel » sur la Méditerranée) représente l’unique occasion d’éprouver l’organisation de la réponse dans son ensemble en plaçant tous les acteurs en situation réaliste pendant une durée significative. La chaîne judiciaire, dans toutes ses composantes, en est partie prenante depuis plusieurs années. Sa bonne intégration progresse grâce, notamment, à son implication croissante dans la phase de préparation d’exercice.

Il appartient aux principaux acteurs du domaine (secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, ministre des Armées, ministre de l’Intérieur, ministre de la Justice) de maintenir dans une dynamique d’échanges et à un niveau d’exigence élevé les sujets centraux que sont l’entretien du corpus doctrinal, la prise en compte des objectifs d’entraînement et l’analyse du retour d’expérience.

Bibliographie

Chalk (P.), 2008, The Maritime Dimension of International Security. Terrorism, Piracy, and Challenges for the United States, Santa Monica, RAND Corporation.

Daguzan (J.-F.), 2009, « Le terrorisme maritime : éléments de réflexions sur une menace (majeure ?) », Sécurité globale, no 8.

Greenberg (M. D.), Chalk (P.), Willis (H. H.), Khilko (I.), S. Ortiz (D.), 2016 (2e éd.) , Maritime Terrorism. Risk and Liability, Santa Monica, RAND Corporation.

Eudeline (H.), 2010, « Le terrorisme maritime, une nouvelle forme de guerre », Outre-Terre, no 25-26

Notes

(1) Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « Chiffres clés du transport », 2021, Commissariat général au développement durable, service des Données et Études statistiques.

(2) Ainsi, en vertu de l’article 421-2 du Code pénal, constitue un acte de terrorisme lorsqu’elle est en relation avec une entreprise terroriste l’introduction dans l’environnement (atmosphère, sol, sous-sol, eaux) ou les aliments d’« une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ».

(3) Depuis la loi no 96-647 du 22 juillet 1996,le Code pénal réprime cette infraction sur le fondement de l’article 421-2-1.

(4) Cette base de données ne donne plus depuis 2006 les états et les statistiques détaillés.

(5) Livre blanc. Défense et Sécurité nationale, 2008, Paris, Odile Jacob/La Documentation française, p. 49-50.

(6) Décret no 2004-112 du 6 février 2004 (modifié) relatif à l’organisation de l’action de l’État en mer et décret no 2005-1514 du 6 décembre 2005 (modifié) relatif à l’organisation outre-mer de l’action de l’État en mer.

(7) Arrêté du 22 mars 2007 établissant la liste des missions en mer incombant à l’État dans les zones maritimes de la Manche-mer du Nord, de l’Atlantique, de la Méditerranée, des Antilles, de Guyane, du sud de l’océan Indien et dans les eaux bordant les Terres australes et antarctiques françaises et arrêté du 25 octobre 2016 établissant la liste des missions en mer incombant à l’État dans la zone maritime de Polynésie française et dans la zone maritime de Nouvelle-Calédonie.

(8) Loi no 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l’exercice par l’Etat de ses pouvoirs de police en mer, modifiée par l’ordonnance no 2019-414 du 7 mai 2019.

(9) L’AEM s’exerce sur dix zones maritimes dont des espaces placés sous la juridiction française et des espaces relevant du statut de la haute mer (quand il s’agit de navires ou d’intérêts français), chacune étant placée sous l’autorité administrative unique du préfet maritime ou, outre-mer, du délégué du Gouvernement pour l’AEM assisté du commandant de zone maritime, outre-mer.

(10) Décret no 2022-501 du 6 avril 2022 modifiant le décret no 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l›organisation de la direction générale de la sécurité intérieure.

(11) Plan gouvernemental de vigilance, de prévention et de protection face aux menaces d’actions terroristes Vigipirate no 10200/SGDSN/PSE/PSN/CD du 1er décembre 2016.

(12) Instruction interministérielle no 230/SGDSN/PSE/PSN/NP du 27 juin 2018 relative à l’organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire.

(13) Instruction interministérielle no 165/SGDSN/PSE/PSN du 29 avril 2019 relative à la coopération navale volontaire

(14) Circulaire no 6095/SG du 1er juillet 2019 relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures.

(15) Dans certains cas particuliers, lorsque l’organisation CTM n’est pas en mesure d’apporter la réponse appropriée à la crise, notamment pour ce qui relève de l’intervention, le CEMA peut proposer au président de la République des options militaires de substitution, susceptibles d’être hors du cadre AEM et pouvant engager les forces spéciales.

(16) Il s’agit là des grandes lignes qui, pour ce qui relève du droit, contiennent de nombreuses subtilités et nuances, lesquelles sont présentées dans le plan Pirate Mer.

(17) Article 14 du Code de procédure pénale.

(18) Circulaire interministérielle no 6262/SG du 26 avril 2021 relative à l’information du public et à l’aide aux victimes en cas de crise majeure sur le territoire national.

Derrière cet article

Gilles Dode En savoir plus

Gilles Dode

Fonction Capitaine de frégate, chargé de mission "domaine maritime"